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23 ans d’application du Code forestier en RDC, nécessité de la réforme du secteur forestier congolais (Tribune de Félix Lilakako)

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Avec plus au moins 155 millions d’hectares de forêts, le domaine forestier de la République Démocratique du Congo occupe une position stratégique internationale qui le place à la croisée de chemin entre le développement durable et la finance carbone. Soucieuse de gérer durablement ses ressources forestières, la RDC s’est dotée depuis 2002 d’une législation spécifique régissant le secteur forestier, à savoir la loi n°011/2002 du 29 août 2002 portant code forestier.

Cette réforme forestière de 2002 ayant abouti à la promulgation du code forestier poursuivait notamment comme objectifs: la gestion durable des forêts, la promotion des droits des populations riveraines des forêts par l’amélioration de leurs conditions de vie et l’augmentation des recettes forestières par l’institution du cadastre forestier ainsi que d’un dispositif fiscal adapté[1].

23 ans après sa promulgation, le secteur forestier congolais peine à accomplir ses missions lui dévolues en 2002 à savoir notamment d’être : « un cadre légale qui permet à la fois, à la forêt de remplir en équilibre ses fonctions écologiques et sociales, à l’administration forestière de contribuer substantiellement au développement national et aux populations riveraines de participer activement à la gestion des forêts pour pouvoir en tirer un bénéfice légitime »[2].

L’on est tenté de se demander si le cadre légal (y compris règlementaire) du secteur forestier congolais lui permet de remplir les fonctions écologiques dévolues avec la dynamique internationale liée à la lutte contre le changement climatique ou à l’érosion de la biodiversité ? Est-ce que l’administration forestière dispose-t-elle effectivement des outils et des moyens lui permettant de jouer un rôle majeur et actif de faciliter au secteur d’assurer une contribution efficace dans le budget de l’Etat ? Est-ce que la cadre politique et juridique actuel permet aux populations riveraines de participer activement à la gestion des forêts et en tirent réellement profit ?  

Dans 23 ans, le secteur forestier a connu des avancées importantes non négligeables avec des actions de la part du Gouvernement congolais appuyé par ses Partenaires Techniques et Financiers, avec l’accompagnement du secteur privé et de la société civile.

Cette situation n’empêche guère l’ensemble de parties prenantes à réaliser un diagnostic sérieux de ce secteur[3] afin d’en dégager les faiblesses et formuler des recommandations nécessaires pour sa refonte.

La présente analyse, loin d’être exhaustive, est un essai qui se limite à présenter quelques avancées enregistrées durant les 23 ans d’application de ce texte légal en RDC. Elle présente quelques défis qui en résultent et présente quelques points en termes de perspectives pour le secteur forestier congolais, appelé à s’ouvrir d’avantages à d’autres secteurs, surtout à cette ère de numérique et de la nouvelle économie du climat.

  1. Peut-on lister les avancer dans le secteur forestier congolais depuis 2002 ?

L’existence du code forestier de 2002 entant que texte de base du secteur forestier a suscité une dynamique dans ce secteur. La prise des mesures d’application de ce texte sous forme de décret, arrêtés, etc. constitue une étape importante qui a marqué l’ossature de mise en œuvre du code forestier.

Il sied de noter que le Code forestier et ses mesures d’application ont permis de renforcer le cadre institutionnel du secteur forestier rendant opérationnel plusieurs structures. C’est le cas de plusieurs directions normatives au sein du Ministère ayant les forêts dans ses attributions (Cadastre forestier, Direction d’Horticulture et Reboisement, Direction Technologies Energie-Bois, etc.), la création et l’opérationnalisation du Conseil Consultatif National des Forêts, du Fonds Forestier National, etc.

Le code forestier a permis de définir une fiscalité spécifique du secteur forestier s’appliquant aux concessions d’exploitation de bois. La foresterie communautaire également est opérationnelle grâce à la règlementation y afférente.

Dans le processus de mise en œuvre du code forestier, des thématiques nouvelles ont vu le jour, notamment les tourbières, les crédits carbones, la Réduction des émissions liées au changement climatique, le paiement pour services environnementaux, etc.

On note également des initiatives développées çà et là soit par le Gouvernement, soit par ses partenaires au développement, du secteur privé ou de la société civile. C’est le cas Programmes Intégrés REDD+ développés dans l’ensemble du territoire national.

La Code forestier a largement contribué aux aspirations du pays liées à la mise en œuvre du processus de décentralisation, en veillant à faire des provinces et entités locales des vrais acteurs dans la gouvernance du secteur forestier, avec des compétences spécifiquement attribuées.

En dépit de ces réalisations et de ces différentes interventions émanant du code forestier et ses mesures d’applications pour certaines ou alors émanent des actions des partenaires du Gouvernement, l’application du code forestier de 2002 présente plusieurs défis qu’il sied d’identifier pour envisager des mesures correctives.

  • Quelques défis majeurs du secteur forestier congolais depuis 2002

Selon le PNSD[4], la création des conditions d’un développement durable et la contribution à la lutte contre le changement climatique par la RDC nécessitent de relever les défis, notamment la finalisation et la mise en œuvre des réformes du secteur forestier.

En effet, pour parvenir à ces réformes, des nombreux défis se dressent sur le chemin, nécessitant des actions du Gouvernement et ses parties prenantes.

  • L’absence de la politique forestière : selon le Code forestier, il est fait obligation à l’Etat d’élaborer une politique forestière nationale matérialisée par un plan forestier national à réviser périodiquement[5]. Il se dégage donc que le code forestier en tant que loi nationale a été élaborée bien avant la politique forestière, considérée comme un document d’orientation et de définition de la vision du secteur forestier.
  • Le renforcement du cadre règlementaire du secteur forestier : des mesures règlementaires devraient être prises pour faciliter l’application du code forestier, notamment les mesures liées aux concessions de conservation, détermination des normes de suivi des activités de reboisement, etc.
  • Le renforcement des capacités de l’administration : cette dernière ne devrait pas jouer un rôle d’observateur dans la gouvernance forestière pas manque des capacités matérielles, financières, logistiques et humaines. Il est donc important de renforcer le rôle de l’administration à tous les échelons, et d’équilibrer son rapport avec les institutions politiques.
  • Le financement : l’absence ou le manque des moyens financiers ont rendu difficile l’application du code forestier. Le budget de l’Etat n’a pas renseigné d’importantes contributions au point que le secteur s’est vu externalisé en termes d’appui, rendant ainsi difficile l’application de l’agenda gouvernemental dans ce secteur.
  • La fiscalité forestière : qui paraît moins incitative pour le secteur d’exploitation forestière en pleine difficulté pour le secteur privé formel, face au renforcement de la contribution du secteur forestier dans le budget de l’Etat et face à la lutte contre le changement climatique notamment sur les aspects liés aux crédits carbone.
  • La décentralisation constitutionnelle poussée : qui présente un grand défi pour la gestion du secteur notamment sur le plan d’accès à la ressource forestière et de la gestion des ressources humaines appelées à gérer les forêts au niveau des entités décentralisées.
  • L’application de la législation forestière : le gap existant entre la mise en œuvre des normes de contrôle forestier et l’action des Cours et Tribunaux quant à la perception, au rôle de chaque acteur et l’implication effective de la justice dans l’application du code forestier.
  • La gestion des données du secteur. Une absence de stratégie et des moyens de gestion des données du secteur forestier a dépouillé l’administration de sa substance.
  • Le moratoire sur l’octroi des titres d’exploitation forestière : cette décision prise par le Gouvernement, avec des conditionnalités semble devenir un défi pour le même gouvernement, appelé à se prononcer sur son maintien ou sa levée au regard des conditions en présence.
  • La recherche scientifique : appelée à jouer un rôle plus actif dans la gouvernance forestière, en disponibilisant des résultats de recherche contextualisés et actualisées pour définir les normes de gestion durable des forêts.
  • La société civile : entant qu’acteur stratégique de gouvernance forestière, appelée à renforcer son leadership dans le secteur avec une meilleure coordination dans les actions pour garantir son efficacité. 
  • Que devra faire la RDC pour renforcer son secteur forestier 23 ans après ?

23 ans après la promulgation et l’application du code forestier, la RDC est appelée à réfléchir et lancer la « réforme de son secteur forestier », afin de permettre aux forêts congolaises de jouer effectivement et autrement son rôle tant sur le plan national mais aussi sur le plan international. Etant donné que, de 2002 à ce jour, le secteur forestier en particulier et de l’environnement en général a connu une grande dynamique sur divers plans.

Le pays devrait préalablement mener une analyse d’application de sa législation forestière, ensemble avec les autres secteurs dont les activités ont une incidence directe ou indirecte sur les forêts.

Des points ci-dessous pourraient être mis à contribution dans ce processus de réforme du secteur tant sur le plan juridique qu’institutionnel.

  • Politique forestière nationale : le Ministère ayant les forêts dans ses attributions est invité à finaliser en urgence la politique forestière nationale pour laquelle le processus d’élaboration a connu une avancée significative.
  • Renforcement de la réglementation : le Ministère en charge des forêts est appelé à finaliser les quelques mesures d’application du Code forestier restant.
  • Capitaliser des initiatives publiques et privées de gestion durable des forêts : dans le cadre de l’appui à la gouvernance forestière, plusieurs initiatives ont été développées à travers le pays. Il est important que le Gouvernement tire des leçons de leur implémentation pour envisager leur alignement dans la stratégie gouvernementale et les reconnaitre sur le plan légal. C’est le cas des leçons apprises des PIREDD, des paiements pour services environnementaux, projet d’afforestations et reboisement, des aires et patrimoines autochtones, etc.
  • Analyser les conditions du moratoire dans le secteur forestier et prendre une décision. Parce qu’il faut évaluer la mise en œuvre du code forestier, il est important pour le gouvernement de se prononcer sur le maintien ou pas du moratoire, et de définir les règles d’encadrement de la décision qui en découlera.
  • Clarifier la question de la fiscalité forestière et envisager des mécanismes incitatifs dans le secteur : les opérateurs du secteur forestier formel font face à une multiplicité de taxes[6] et à une taxation extra-fiscale qui fragilise leurs actions dans le secteur, faisant ainsi perdre à l’Etat les recettes. Il est donc important que le Ministère en charge des forêts envisage ensemble avec le Ministère en charge des Finances des mesures d’allègement de la fiscalité pour permettre à ce secteur d’attirer davantage de l’investissement.
  • Renforcer l’opérationnalisation du cadastre forestier national et au niveau des provinces et revoir son mandat : cette structure devrait jouer un rôle clé dans le processus de gestion des titres forestiers, à l’instar d’autres cadastres (Cadastre foncier, Cadastre minier, etc.) et en assurer le lien avec l’aménagement du territoire.
  • Harmoniser les contrats d’exploitation des forêts, de conservation des forêts et de gestion des aires protégées et en assurer des publications : le Ministère en charge des forêts est appelé à mieux règlementer les contrats d’exploitation ou de gestion des ressources forestières qu’il conclut avec ses partenaires et en assurer publication au journal officiel afin de respecter la réglementation[7] et se conformer au processus ITIE[8] en vigueur.
  • Renforcer la coordination des interventions au sein du Ministère en charge des forêts, entre l’administration forestière et les établissements et services sous tutelle de ce Ministère (FFN, ACE, ICCN, ARMCA, FIPE, etc.) : il est donc important que cette coordination permette de définir les limites administratives et techniques de chaque structure en vue de renforcer la solidarité d’action au sein de ce Ministère.
  • Financement des actions de gestion durable des forêts : pour assurer la mise en œuvre des actions du secteur forestier, il est important pour la RDC de renforcer la contribution du budget de l’Etat, au-delà des appuis extérieurs qui nécessitent, à juste titre, des planifications préalables. Il est également important pour la RDC d’exploiter d’autres pistes pour renforcer le financement interne du secteur forestier. Le pays pourrait exploiter l’opportunité qu’offre le marché des crédits carbone. Les fonds de carbone forestier pourraient contribuer à faciliter la mise en œuvre des actions de l’agenda forestier. Un travail de clarification et orientation pourrait être mené par le Ministère en charge des forêts à travers l’Autorité de Régulation de Marché de carbone (ARMCA) ou même le Fonds d’Intervention pour l’Environnement (FIPE).

Ces actions n’étant pas limitatives, le Ministère en charge des forêts est appelée à mettre en place une « Commission de réforme du secteur forestier ». Cette Commission pourrait être interinstitutionnelle en impliquant l’ensemble de parties prenantes des différents secteurs.

  • Conclusion

Après 23 d’application du code forestier, la RDC devrait se regarder sur son miroir et voir ce que devra devenir son secteur forestier au regard des différents défis en présence et des avancées significatifs dans ce secteur et dans d’autres secteurs ayant des incidences sur les forêts.

Ce regard devrait amener le Ministère en charge des Forêts de se lancer dans un processus de réforme bien planifié et structuré. La réforme devrait amener le Gouvernement à la restructuration des politiques et des régimes de gestion des forêts, visant à assurer leur durabilité, à améliorer la gouvernance, à lutter contre l’exploitation illégale, à impliquer les communautés locales et à permettre aux forêts d’assurer une contribution effective dans le budget de l’Etat.

La Commission de réforme du code forestier à mettre en place devrait réfléchir sur l’avenir du secteur forestier, en prenant notamment compte des éléments sus évoqués. Elle devrait également bien définir son calendrier d’action, afin d’éviter de tomber sur les cas des processus longissimes et budgétivores.

Fait à Kinshasa, le 29 août 2025

Felix Credo LILAKAKO MALIKUKA

Avocat- spécialiste en droit de l’environnement

Président du Conseil d’Administration de l’ONG JUREC

+243819940015- www.jurec.org


[1] En République démocratique du Congo, une réforme de la législation en 2002 s’était réalisée avec le soutien de la Banque Mondiale qui s’est inspirée de la réforme forestière qu’elle avait encadrée en 1994 dans un pays de la sous-région d’Afrique centrale, proche de la RDC, en l’occurrence le Cameroun. 

[2] Exposé des motifs de la loi n°011/2002 du 29 aout 2002 portant code forestier, point 1.1

[3] Il sied de relever que dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle politique forestière nationale ambitieuse pour la République Démocratique du Congo (RDC), le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD) a organisé un atelier crucial de diagnostic sectoriel pour la Politique Forestière Nationale. Tenu du 16 au 19 juillet 2024 à l’Hôtellerie Saint Pierre Claver à Kinshasa, lire https://medd.gouv.cd/vers-une-nouvelle-politique-forestiere-ambitieuse-atelier-de-diagnostic-sectoriel-pour-la-gestion-durable-des-forets-en-rdc/

[4] Ministère du Plan et de la Coordination de l’aide au développement, Plan National Stratégique de Développement de la RDC (PNSD) 2024-2028, p. 136

[5] Exposé des motifs du Code forestier, point 2.1

[6] Lire JUREC ONG, Etat des lieux de la fiscalité-parafiscalité du secteur forestier en République Démocratique du Congo, https://www.atibt.org/fr/news/12876/etat-des-lieux-de-la-fiscalite-parafiscalite-du-secteur-forestier-en-republique-democratique-du-congo

[7] Il s’agit du Décret n° 011/26 du 20 mai 2011 portant obligation de publier tout contrat ayant pour objet les ressources naturelles, qui stipule « Tout contrat conclu entre l’Etat ou une Entreprise du portefeuille et un ou plusieurs partenaires privés nationaux ou étrangers, de droit privé ou public, et ayant pour objet la recherche, l’exploration ou l’exploitation d’une des ressources naturelles définies à l’article l » ci-dessus, est publié par le Ministre en charge du secteur duquel relève l’administration de la ressource naturelle concernée dans les soixante (60) jours francs qui suivent la date de son entrée en vigueur » (art.2)

[8] Initiative pour la Transparence des Industries Extractives, https://www.itierdc.net/

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